15 décembre 2018 – 9 février 2019
Galerie Catherine Issert, Saint-Paul de Vence

Pour Pascal Pinaud, « Fumer dans le vent » évoque autant l’image fictionnelle d’une fumée de cigarette
s’échappant des lèvres d’un héros solitaire que la propagation d’une peinture diffusée au pistolet dans une cabine de carrosserie. Cet aller-retour entre stéréotype et concrétude, image populaire et principe de réalité, illustre exactement l’articulation de l’œuvre de cet artiste qui réinvente encore et toujours la peinture, sa pratique et ses limites.

Cette exposition reprend en creux la précédente monographie que la galerie Catherine Issert lui avait consacré en 2012 sous le titre « Nul motif apparent » : pour « Fumer dans le vent » Pascal Pinaud repeint les murs de la galerie pour ne laisser en blanc que les emplacements des œuvres précédemment accrochées. Puis, au mépris total de cet exercice et sans tenir compte de son propre geste, l’artiste procède à l’accrochage de ses nouvelles œuvres. Ce jeu entre positif et négatif, entre couleur et réserves plus ou moins dévoilées, crée un lien visuel et mnémonique entre œuvres anciennes et récentes, rappelant ainsi qu’un artiste ne peut construire une exposition qu’à partir de ses expériences passées. Par la réminiscence des Patères, des Néons Bleus ou bien encore de Suite Berlinoise, l’artiste s’auto-cite et s’auto-contraint. Sur ces murs peints dans une teinte dorée, Pascal Pinaud présente des pièces récentes et pour certaines inédites, dont la diversité des processus et des matériaux répond aux grandes problématiques qui traversent son œuvre.

Nouvelle série, Couchers de soleil s’inspire de visuels que l’artiste trouve sur l’application Instagram. Chacune de ces peintures sur tôle a pour titre le lieu où la photographie amateure a été réalisée. Cliché populaire s’il en est – car il est aisé d’en réaliser une image séduisante sans compétence particulière – le coucher de soleil évoque ici autant Les Croûtes – grossiers et criards pastiches de chromophotographies — de Gasiorowski que la planéité photogénique et graphique des oeuvres d’Ed Ruscha. Entre peinture et média numérique, le cliché, sur lequel s’appuie ici la composition, est donc à entendre aux deux sens du mot : capture photographique, mais également représentation stéréotypée du monde.
Les œuvres Beau Concept et Qatar Airways jouent également de cette limite entre peinture et photographie : elles copient des affiches publicitaires ayant été déchirées par le dispositif de roulement interne de leur habitacle. Comme souvent, Pascal Pinaud joue avec le principe de réalité ; en l’occurrence ici l’observation d’un système fonctionnel qui, par son dérèglement, provoque des compositions picturales involontaires. Il reproduit le caisson publicitaire quasiment à l’identique – apposant même la marque du fournisseur – sur lequel il contrecolle la photographie de la publicité abimée, poursuivant ainsi une double illusion : celle, réaliste, de la copie (l’image étant analogique et homothétique à l’original détérioré) et celle de la profondeur picturale (la présence du dispositif mécanique et lumineux habituellement caché étant ici révélée par l’image). Pascal Pinaud parle ici, par l’opération d’un glissement, de son rapport transhistorique à la peinture : Qatar Airways rappelle la peinture d’histoire et notamment Delacroix, Beau Concept cite quant à elle à la peinture conceptuelle ; toutes deux évoquent les affichistes.

Deux œuvres traitent du thème de l’autoportrait : issue de la série des Grands Ecrans, une photographie représente en noir et blanc un portrait de Rubens vandalisé par une large coulure d’eau. Ainsi dégradé, le visage du peintre disparaît au profit d’une masse informe et abstraite. Cette série, qui reprend des images d’œuvres vandalisées ou volées, rappelle la place médiatique de l’art et la violence qu’il peut parfois susciter. D’un point de vue esthétique, l’œuvre est désacralisée par cet acte de vandalisme, qui annihile ici un patrimoine mais aussi par le traitement photographique et achromique que l’artiste lui fait subir. Elle montre une histoire de l’art défectueuse et de ce fait, habituellement cachée des yeux du public.
Un petit tableau ovale, rappelant quant à lui les portraits bourgeois, est peint d’un gris indéfini. Cette œuvre est une réponse aux Peintures recyclées de Nicolas Floc’h, qui demande à des amis artistes de lui confier des toiles qu’ils ne veulent pas montrer. Il en dissout les couches picturales jusqu’à obtenir une teinte uniforme, qu’il remet en tube et étiquette au nom de l’artiste. En retour, Pascal Pinaud utilise cette couleur pour réaliser son autoportrait sous la forme d’un monochrome. Ce jeu de ping-pong est un clin d’œil à sa famille d’artistes : comme lui, Nicolas Floc’h s’intéresse aux limites entre art, métiers d’art, techniques artisanales et design industriel.

Enfin, un grand format rectangulaire, entre tableau et sculpture, est recouvert de 15000 fèves — restes de la collecte réalisée pour L’Arbre à fèves (monumental platane réunissant plus de 20800 de ces figurines). Suivant le même principe, la surface et les bords de l’œuvre sont saturés de ces objets « sucés par des milliers de gens », qui agglomérés, forment un paysage abstrait, rugueux et encyclopédique.. Plus minimale que L’Arbre à fèves, elle est toutefois et au même titre emblématique de la « collectionnite » aigüe de l’artiste et de son intérêt pour les pratiques populaires.
D’autres œuvres encore pourront venir couvrir les murs dorés et blancs de la galerie Catherine Issert,
alimentant ce même fil rouge, qui entrecroise réflexions quotidiennes les plus triviales et préoccupations
esthétiques les plus exigeantes. Ces hybridations donnent naissance à une œuvre hétéroclite où le vulgaire dialogue avec le conceptuel, le populaire avec le précieux… pour mieux brouiller les préjugés critiques et à terme abolir la notion d’identité de l’œuvre. Ainsi la peinture descend-elle de son piédestal : chaque geste répond simplement à sa propre cohérence et assume ses origines parfois « illégitimes », composant un corpus d’œuvres qui ne refusent ni la contradiction ni le débat plastique, mais, a contrario, actualisent le débat pictural.

Pauline Thyss, 2018