1 décembre 2018 • 28 avril 2019
Galerie du Château

Une proposition de Julie Crenn et Sylvie Fanchon

L’exposition monographique de Sylvie Fanchon à l’eac., constitue la deuxième étape d’un projet visant à présenter le travail récent de l’artiste. La première étape se joue au FRAC Franche-Comté à Besançon où une sélection d’œuvres issues de la collection fait écho aux œuvres de Sylvie Fanchon. À Mouans-Sartoux, nous avons souhaité nous concentrer exclusivement sur le travail de l’artiste. Lorsque nous sommes venues pour la première fois au centre d’art, j’ai observé Sylvie Fanchon déambuler d’une salle à l’autre, suivre les murs et prendre la mesure des différents espaces. Très vite, l’idée et l’envie de réaliser une œuvre serpentine, une peinture murale qui puisse se faufiler le long des murs, lui paraissent être la meilleure approche.
Les peintures murales bichromes sont pensées à l’échelle du lieu. Sa dimension domestique n’a pas échappé à l’artiste qui a souhaité conserver un rapport de proximité entre le regardeur et les œuvres. Leurs dimensions (1m30 de largeur et à 80 cm au-dessus du sol) amplifient la relation physique que nous pouvons entretenir avec elles.
Dès l’entrée de l’exposition, elles s’étirent et nous accompagnent dans notre circulation et notre appréhension de l’espace. Elles convoquent le mouvement, la couleur, le texte, l’architecture du lieu et le corps. Sylvie Fanchon a choisi de créer des ruptures dans ce parcours en opérant des changements de rapports chromatiques et en instaurant un dialogue entre les œuvres murales (éphémères) et les tableaux (objets).
Ces derniers génèrent un contrepoint en instillant dans la mise en espace du travail un autre rythme, une autre temporalité. Le titre de l’exposition s’adresse directement à nous. Que puis-je faire pour vous aider ? Qui nous parle ? L’artiste dit : « Suite à une expérience fort singulière, mon téléphone s’adresse à moi de façon aléatoire, en me proposant de l’aide, un soutien, des idées, tout ceci d’une voix suave, j’ai trouvé là un ensemble de phrases dont je fais le sujet de mes peintures actuelles. Que puis-je faire pour vous aider ? Bel objectif d’une intelligence artificielle attentive à mon bien-être. » La question provient d’abord d’une intrusion, celle de Cortana, une assistance virtuelle intégrée au Smartphone de l’artiste. Par inadvertance, la voix de Cortana lui parvient. Sylvie Fanchon relève les questions, les suggestions et autres propositions provenant de cette intelligence artificielle. Elle décide de les injecter dans son travail de peinture. Sorties de leur contexte, les « phrases stéréotypées et absurdes » revêtent de nouvelles significations.
Dans une volonté de détournement, elles se rapportent à une pensée d’ordre existentialiste et politique ; elles ouvrent aussi un espace de réflexion sur l’art et plus particulièrement sur la peinture. L’utilisation du texte n’est pas nouvelle dans sa pratique, Sylvie Fanchon intègre des jeux de mots, des lettrages-motifs à ses compositions radicales.
 
À l’eac., le texte qui apparaît au centre des peintures murales est révélé à la surface des compositions dans l’espace de la réserve. Le protocole élaboré par Sylvie Fanchon favorise des allers-retours entre ce qui est visible et ce qui nous échappe. Avec les tableaux intitulés Figures , l’artiste trouble l’espace de la représentation.
Sous un aplat de couleur, les figures – tantôt féminines, tantôt masculines – sont résumées à leurs chevelures, moustaches et barbes. Tout se joue dans le retrait, la synthèse et une approche sciemment décroissante de la peinture. Sylvie Fanchon l’admet volontiers, elle peint peu. Non pas par paresse, mais dans une volonté de ne pas produire de l’art. Elle se refuse à l’accumulation et à la sacralisation de l’artiste. La question du génie artistique l’ennuie d’ailleurs profondément. En ce sens, j’ai très vite compris l’humour et la radicalité punk qu’elle injecte dans son œuvre.
 
Il faut s’approcher de près des tableaux pour se rendre compte que les tranches des toiles ne sont pas masquées, on y observe les étapes du travail, les passages, les recouvrements, comme une écriture picturale, le récit de la fabrication de l’œuvre est visible. À la surface, les gestes sont également reconnaissables.
L’artiste construit alors ce qu’elle nomme une « géométrie sensible » au sein de laquelle cohabitent de merveilleuses contradictions. L’exposition est aussi traversée par un humour finement dosé et par une insolence facétieuse. Si l’œuvre de Sylvie Fanchon s’inscrit dans l’héritage historique de l’art minimal et de l’art conceptuel, l’artiste a cependant choisi de faire un pas de côté vis-à-vis de ses pairs. Elle brouille les pistes de lecture en entremêlant la figuration et l’abstraction, le langage et le silence, l’objet et l’éphémère. Cette pointe d’insolence lui permet de désarmer le sérieux d’un héritage plastique complexe. Elle nous engage aussi à définir une réflexion critique vis-à-vis du monde de l’art, des codes, des normes, des hiérarchies et des catégories étouffantes que Sylvie Fanchon n’a de cesse de détourner et d’éviter.
 
Julie Crenn, avril 2018
 
Sylvie Fanchon
Que puis-je faire…, 2018
50 × 70 cm
© Sylvie Fanchon
photo : Jonathan Martin
 
Espace de l’Art Concret – Centre d’art contemporain
Donation Albers-Honegger
Château de Mouans
06370 Mouans-Sartoux
+33 (0)4 93 75 71 50
Ouvert du mercredi au dimanche, de 13h à 17h